L'été dernier, dans un éditorial consacré - déjà ! - à la manipulation de l'opinion organisée autour des enfants de clandestins scolarisés, j'écrivais que "les dossiers de l'immigration et de l'identité nationale seraient sans doute au coeur de la prochaine campagne présidentielle, comme l'insécurité l'avait été dans celle de 2002". Les dernières semaines ont à l'évidence confirmé ce pronostic et, contrairement à d'autres qui clament que "ce n'est pas le vrai problème", je m'en félicite. Même si bien d'autres dossiers doivent en effet être abordés dans le débat précédant l'élection du chef de l'Etat, en est-il un plus essentiel que celui qui consiste à nous demander si nous formons toujours bien une "communauté de destins", selon la meilleure définition qui soit d'une nation ? C'est-à-dire une communauté caractérisée à la fois par une adhésion à une histoire, à une culture et à des valeurs communes, héritage du passé, et par une volonté de vivre ensemble en faisant fructifier cet héritage, gage de l'avenir.
En vérité, je n'avais aucun mérite à faire une telle prédiction. Deux grandes secousses nous avaient avertis du surgissement de la question identitaire au premier plan de notre vie : le 21 avril 2002 et le 29 mai 2005, la présence de Le Pen au second tour de l'élection présidentielle et la victoire du "non" au référendum sur la Constitution européenne. Car chacun de ces deux événements était une réponse venue du peuple français, contre l'avis de toutes ses "élites" politiques et médiatiques rassemblées, aux deux menaces qui lui semblent mettre en danger son identité : l'immigration massive et incontrôlée d'un côté, la dilution au sein d'une Europe supra-nationale de l'autre. Face à la première, des millions de Français votent pour celui qui dénonce ce péril depuis des années, même s'il n'a guère de solution-miracle à leur proposer ; pour conjurer la seconde, ils sont une majorité un texte dans lequel ils voient, à tort ou à raison, une étape irréversible dans la disparition programmée des Etats-nations de l'Union européenne.
Et comment ne pas comprendre cette angoisse du peuple français lorsqu'on veut bien examiner sereinement l'évolution subie depuis trente à quarante ans ? Cité par Alain Peyrefitte, De Gaulle définissait la France comme "un pays européen essentiellement de race blanche, de culture gréco-romaine et de religion judéo-chrétienne" ; aujourd'hui, la candidate socialiste à la présidence de la République déclare en plein meeting : "Je serai la présidente de la France métissée" ! Il suffit d'ailleurs de se promener dans la plupart de nos grandes villes ou d'aller chercher son enfant à la sortie d'un lycée pour constater que la définition du général De Gaulle est bien souvent obsolète, et que le choix se résume fréquemment entre communautarisme et métissage... Alors le peuple français s'étonne et s'inquiète, d'autant plus qu'il n'a évidemment jamais été consulté sur cette évolution fondamentale.
C'est pourquoi, sans être dupe de ses arrière-pensées électorales, la proposition de Nicolas Sarkozy de lier immigration et identité nationale, c'est-à-dire d'exiger des nouveaux venus une véritable adhésion à cette communauté de destins, est un pas très important dans la bonne direction. "La France ne demande pas aux siens d'où ils viennent, mais où ils veulent aller ensemble", affirme Ségolène Royal. Mais c'est oublier qu'ils n'iront ensemble quelque part que s'ils savent d'où ils viennent, s'ils adhèrent à l'histoire, à la culture et aux valeurs communes évoquées au début de cette note.
Cette adhésion peut être innée : c'est le cas pour tous ceux qui, nés de familles françaises depuis des générations, possèdent naturellement cet enracinement. Mais elle peut aussi être acquise volontairement par tous ceux, quelles que soient leurs origines, font le choix de vivre en France en s'assimilant et en devenant, selon la formule qu'employait un de mes amis d'enfance dont le père avait fui la Pologne communiste, "plus Français qu'un Français" ! Ce choix implique d'embrasser globalement toute l'histoire et la culture de notre pays, sans faire de tri ni de sélection. C'est sans doute pour cela que le discours de Nicolas Sarkozy, lui-même fils d'immigré hongrois, avait eu un énorme retentissement lorsqu'il s'était exclamé le jour de son investiture, à la tribune de la Porte de Versailles : « Ma France, c’est le pays qui a fait la synthèse entre l’Ancien Régime et la Révolution, entre l’Etat capétien et l’Etat républicain, qui a inventé la laïcité pour faire vivre ensemble ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas. Ma France, c’est le pays qui, entre le drapeau blanc et le drapeau rouge a choisi le drapeau tricolore, en a fait le drapeau de la liberté et l’a couvert de gloire. Ma France, c’est celle de tous les Français sans exception. C’est la France de Saint-Louis et celle de Carnot, celle des croisades et de Valmy. Celle de Pascal et de Voltaire. Celles des cathédrales et de l’Encyclopédie. » Cela a quand même plus de sens que les "Marseillaise" à répétition ou les drapeaux aux fenêtres de Madame Royal...
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