Que vaut la parole d'un syndicat français ? Alors que la semaine qui commence pourrait bien tourner à l'épreuve de force (lire ma note du 31 octobre), la question ne manque pas d'intérêt. Car chacun sait qu'un bon fonctionnement du pacte social repose largement sur l'existence de syndicats forts et représentatifs, capables à l'issue de conflits sociaux de négocier, de signer des accords et de respecter ensuite cette signature. Ce qui suppose que lesdits syndicats aient un minimum de constance dans leurs prises de position et leurs engagements, afin que leur parole ait une valeur incontestable. Or, chez nous, c'est tout le contraire : non seulement nos organisation syndicales sont souvent peu représentatives, mais de plus certaines d'entre elles semblent changer d'avis et d'orientation selon les circonstances.
Tel est, par exemple, le cas de l'Union Syndicale des Magistrats. Voici quelques années, lorsqu'elle était présidée par Valéry Turcey, l'USM plaçait en tête de ses priorités la réforme de la carte judiciaire, que chacun s'accorde à trouver indispensable, tant l'implantation actuelle des tribunaux est en décalage avec l'évolution démographique de notre pays. Aujourd'hui, alors qu'un gouvernement a enfin le courage de s'attaquer à ce dossier ultra-sensible, l'USM a effectué un virage à 180° pour s'opposer à la réforme et défendre le corporatisme judiciaire le plus étroit. A ce sujet, je ne résiste pas au plaisir de reproduire quelques phrases prononcées par Me Robert Badinter le 6 avril 2006, en conclusion des "Etats Généraux de la justice pénale" organisés par le Conseil National des Barreaux. "Il faut résoudre le problème de la carte judiciaire française, affirmait-il. Il est vrai qu'une telle réorganisation constitue une entreprise d'une difficulté inouïe. Si les parlementaires admettent la nécessité d'une réforme en la matière, ils restent attachés à un certain nombre de leurs acquis. Il semble donc difficile de regrouper certaines juridictions plutôt que d'autres. Cette réforme étant incontournable, il serait nécessaire de l'adopter sans passer par le Parlement". Remplacez simplement "parlementaires" par "magistrats", l'analyse reste tout aussi pertinente !
Mais la Palme d'Or du double langage et de l'absence de parole revient incontestablement à l'Unef, à propos de la loi sur l'autonomie des universités. Le 28 juin dernier, à l'issue de négociations avec le ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, ce syndicat étudiant acceptait le nouveau texte proposé, substantiellement modifié par Valérie Pécresse : conseils d'administration élargis, sélection en première année de mastère reportée à un autre projet de loi, obligation pour toutes les universités de basculer dans le nouveau système dans un délai de cinq ans. A la sortie de la réunion, Bruno Julliard, président de l'Unef, s'exclamait devant micros et caméras : "Le texte était inacceptable il y a une semaine parce qu'il dénaturait le modèle universitaire français. Aujourd'hui, nous sauvons l'essentiel !"
Seulement voilà : ces dernières semaines s'est constituée une "Coordination nationale étudiante" entièrement tenue par l'extrême-gauche trotskiste et anarchiste, qui s'est donné pour objectif pur et simple "l'abrogation non négociable de la loi Pécresse", en y ajoutant, pour faire bon poids, le maintien des régimes spéciaux de retraite, la suppression des franchises médicales, la fermeture des centres de rétention et "la fin des rafles de sans-papiers" !
Devant ce délire gauchiste, quelle attitude adopte l'Unef ? Pas celle d'un syndicat responsable, qui rappellerait à ces enragés que le texte voté par le Parlement résulte d'un compromis accepté par lui et les autres organisations syndicales étudiantes, et qu'il a donc vocation à s'appliquer. Non, M. Julliard, tout en reconnaissant que "l'abrogation nous semble un objectif pas atteignable", n'en "fait pas un point de rupture" et appelle au contraire ses adhérents à "participer aux Assemblées Générales" et à "décider de leurs mots d'ordre et de leurs modalités d'action" ! Pourquoi un tel revirement ? Uniquement parce que M. Julliard, qui est aussi et surtout un militant du Parti socialiste, entend bien ne pas se laisser doubler sur sa gauche, et que cela est plus important à ses yeux que l'avenir de l'Université et de la majorité des étudiants. Et voilà pourquoi sont de retour sur nos écrans de télévision, comme à chaque réforme de l'enseignement depuis vingt ans, les mêmes slogans débiles ânonnés par les mêmes militants boutonneux avec les mêmes trois poils au menton pour se donner un air de ressemblance avec tonton Trotski !
Des militants tout aussi démocrates, d'ailleurs, que leurs grands ancêtres : leur coordination, réunie ce week-end à Rennes, non contente de parquer les journalistes dans un espace délimité par des fils de fer barbelés dessinés au sol (!), se propose de "bloquer les gares" dès demain, et demande "d'empêcher les votes à bulletins secrets" sur les campus, car "seules les Assemblées Générales sont légitimes". Quand on sait comment se déroulent les AG en question, avec militants venus en nombre de l'extérieur, violences contre les non-grévistes et décompte incontrôlable des votes à mains levées, le résultat en est acquis d'avance.
Face à ces mensonges et à ces méthodes, la réplique est simple. Non seulement le pouvoir ne doit plus rien céder, qu'il s'agisse des régimes spéciaux de retraite ou de l'autonomie des universités. Mais il doit aller plus loin et, dans les facultés, soutenir les étudiants très majoritairement hostiles au blocage qui commencent à s'organiser, et faire évacuer les piquets de grève et les barrages qui entravent la liberté du travail. D'une façon plus générale, puisque les adversaires des réformes menacent d'en appeler à "la rue" pour faire reculer le gouvernement, qu'il fasse en sorte que descendent aussi dans la rue ceux qui veulent le changement. Que l'UMP et toutes les organisations qui se reconnaissent dans cette volonté prévoient ensemble un vaste rassemblement de masse pour faire contrepoids aux manifestants professionnels qui s'apprêtent à battre le pavé ces prochains jours. Tant il est vrai que, comme dit la chanson, la rue appartient à celui qui y descend !
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