Comme dirait Ségolène, connaissez-vous Neelie Kroes ? Jusqu'ici obscure Commissaire à la Concurrence de l'Union européenne, Madame Kroes vient de sortir de l'anonymat en s'en prenant vertement à Nicolas Sarkozy. Celui-ci osant demander que la France et l'Europe aient une véritable politique industrielle et commerciale qui ne se contente pas de "tout laisser passer" et regrettant notamment le raid de l'Indien Mittal sur Arcelor, Nellie Kroes s'est dite "choquée" de ce que le candidat de l'UMP souhaitait, selon elle, "davantage de champions nationaux et davantage de protectionnisme". Et madame la Commissaire de conclure de façon définitive et péremptoire : "Il est obsolète de parler de champions nationaux, il est obsolète de parler de protectionnisme". Dans le même temps, d'autres Commissaires européens, et même le président de la Commission, se sont permis de taxer de "démagogie" les candidats à l'élection présidentielle française qui remettent en question la politique économique et monétaire de l'Union, en particulier la rigidité de la BCEdans le maintien d'un "euro fort".
On se croirait revenu à l'époque des référendums sur Maastricht ou sur la Constitution européenne, quand tous ceux qui se permettaient d'émettre des doutes sur les vertus de l'Europe supra-nationale étaient taxés par les "élites" d'ignorance crasse et considérés comme des quasi-débiles mentaux. La politique industrielle suivie ces dernières années par la Commissionde Bruxelles devrait pourtant inciter celle-ci à davantage de modestie. Qu'il nous soit simplement permis de rappeler ici comment cette politique fut directement responsable de la disparition d'une grande entreprise française employant 34.000 salariés, à savoir le groupe Pechiney.
Pechiney était l'une des six "majors" mondiales produisant et transformant de l'aluminium. Des mouvements de concentration étant inéluctables pour atteindre la "taille critique" nécessaire dans ce secteur stratégique, le Québécois Alcan proposa en 1999 à Pechiney et au Suisse Algroup une fusion à parts égales : le nouveau groupe devait s'appeler APA (Alcan-Pechiney-Algroup), prendre la place de n°1 mondial et être rapidement dirigé par le Français Jean-Pierre Rodier, PDG de Pechiney. Une proposition vite acceptée par le Suisse et le Français.
Le 14 mars 2000, la Commission de Bruxelles, à la demande du Commissaire à la Concurrence Mario Monti, interdisait cette fusion au motif qu'elle donnerait à APA une "position dominante" sur le marché européen. Peu importait aux Commissaires l'intérêt que présentait ce rapprochement pour Pechiney au niveau mondial, leur courte vue se limitait au strict marché communautaire. La fusion se fit donc à deux, Alcan et Algroup. Trois ans plus tard, Alcan lançait une OPA, cette fois hostile, contre un Pechiney fragilisé par sa solitude. Cette OPA fut victorieuse. Aujourd'hui, Pechiney n'existe plus.
Huit jours après la présentation du projet APA, l'Américain Alcoa annonçait une contre-attaque via le rachat de son concurrent Reynolds. Le Département américain de la Justice, puis la Commission européenne, donnèrent leur accord à cette opération. Aujourd'hui, Alcoa est le n°1 mondial de l'aluminium.
Alors, Madame Kroes, est-il vraiment "choquant" et "obsolète" de demander à votre Commission de laisser se former de grands groupes nationaux et européens taillés pour la compétition mondiale, et d'attendre de l'Union qu'elle protège en priorité les intérêts de ses entreprises et de ses travailleurs ?
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