Certes, pour la première fois depuis trente ans, une majorité parlementaire sortante est reconduite par les électeurs. Certes, le président de la République dispose désormais d'une large majorité pour mettre en oeuvre son projet. Mais cette majorité, avec environ 345 députés, est moins nombreuse que celle de l'Assemblée sortante. Et surtout nettement moins nombreuse que ne le laissaient penser les projections des instituts de sondage, qui tablaient sur au moins 400 élus de droite. Quel est donc le phénomène qui explique cette indéniable "correction" ?
Ce n'est en tout cas pas une quelconque ruée aux urnes : aux alentours de 40%, l'abstention est à peu près identique les 10 et 17 juin. Une conclusion s'impose donc : si la gauche enregistre un second tour nettement meilleur que le premier, elle le doit d'une part à l'excellent report des voix bayrouistes sur ses candidats (et vice-versa), mais surtout à la démobilisation des électeurs de droite, dont une bonne partie est manifestement restée chez elle.
Pour ce qui est de l'alliance PS-Modem, les faits ont confirmé, beaucoup plus rapidement que je ne m'y attendais, ce rapprochement que j'annonçais dans ces colonnes voici trois jours (cf. ma note "Ambition personnelle et stratégie suicidaire"). Les voix socialistes ont permis à Bayrou d'obtenir quatre élus (ce qui est à la fois inespéré et peu glorieux), dont l'inattendu Thierry Benoit en Ille-et-Vilaine, et les voix centristes se sont massivement reportées sur les candidats socialistes, notamment à Bordeaux, Lyon et Paris, traçant déjà la perspective des futures alliances municipales pour 2008 que j'évoquais ici même le 15 juin.
Mais c'est la démobilisation des électeurs de droite qui constitue le fait majeur de ce second tour. On peut sans doute l'expliquer en partie par l'annonce d'un "tsunami bleu", qui a fait croire à certains que c'était gagné et qu'ils pouvaient s'adonner sans risque à leurs loisirs favoris. Je crains que cette explication ne soit un peu courte, et que d'autres raisons, plus préoccupantes, doivent être prises en considération, tant cette campagne des législatives avait fourni aux électeurs de droite des motifs réels d'inquiétude.
- Inquiétude en ce qui concerne le programme et les mesures : l'irruption entre les deux tours du projet de "TVA sociale", mal expliqué et peu défendu, a peut-être été interprétée par les électeurs de gauche comme une menace sur leur pouvoir d'achat, mais aussi par les électeurs de droite comme une hausse potentielle des prélèvements obligatoires, au mépris des promesses électorales de Nicolas Sarkozy ! On se serait cru revenu douze ans en arrière, lorsqu'Alain Juppé augmenta de deux points la TVA juste après l'élection de Jacques Chirac : il y a pour le "peuple de droite" de meilleurs souvenirs...
- Inquiétude en ce qui concerne les candidats : six semaines après avoir porté Sarkozy à l'Elysée, les électeurs attendaient des postulants à l'Assemblée en phase avec la nouvelle droite décomplexée si bien incarnée par le nouveau président ; ils n'ont manifestement pas apprécié qu'on leur demande de voter pour Alain Juppé, symbole à la fois de la fausse droite chiraquienne et d'une technocratie arrogante devenue insupportable, pour Alain Carignon, ex-affairiste jadis donneur de leçons de morale contre le Front national, ou pour Arno Klarsfeld, avocat médiocre et bobo branché qui se vantait sur les marchés d'avoir découvert le XIIème arrondissement de Paris sur ses rollers !
- Inquiétude enfin en ce qui concerne l'ouverture à gauche : si le "gadget" Kouchner n'avait pas trop choqué, l'homme étant médiatiquement populaire et sa nomination ayant surtout perturbé le Parti socialiste, des rumeurs - non démenties - couraient sur l'arrivée au gouvernement de personnages aussi peu attractifs pour la droite que Jack Lang, Jean-Michel Baylet, Christiane Taubira ou Malek Boutih ! Pour ne prendre que le cas de Mme Taubira, auteur de la loi scandaleusement partielle et partiale sur l'esclavage, comment concilier son éventuel ralliement avec le refus des incessantes repentances historiques proclamé à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy lui-même ?
Morale de l'histoire, ou plutôt du scrutin : lorsque la droite ose être elle-même, se battre sur ses thèmes et ses valeurs avec des candidats à son image, comme ce fut le cas à la présidentielle, elle gagne ; lorsqu'elle reprend le visage de la droite honteuse, en mettant en avant des idées ou des hommes qui ne répondent pas à l'attente de ses électeurs, elle se condamne aujourd'hui à la déception, et demain à la défaite.
Des preuves sur le terrain ? Voyez comme les électeurs de l'UMP n'ont pas hésité dans le Pas-de-Calais à soutenir Marine Le Pen face à la gauche, faisant passer son score de 24% au premier tour à près de 42% au second. Voyez aussi et surtout comme ont été fort bien élus ou réélus d'authentiques libéraux de droite comme Hervé Novelli, Olivier Dassault ou Jean-Michel Fourgous, ou encore d'inlassables défenseurs des valeurs morales et familiales comme Christine Boutin, Christian Vanneste, Jean-Marc Nesme ou Jean-Paul Garraud (1), et espérez avec moi que le président de la République, dont le pragmatisme n'est pas la moindre qualité, en tirera les conclusions qui s'imposent !
(1) A titre d'exemple, bien que la droite ait moins de sièges dans la nouvelle Assemblée, 132 des 147 députés membres de "l'entente parlementaire contre l'homoparentalité" ont été réélus.
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