Evénement ce mardi 5 juin : sauf revirement de dernière minute lundi, l'ensemble des salariés de la branche presse écrite du groupe Lagardère, Hachette Filipacchi (qui regroupe des titres aussi connus que Paris-Match, Télé-7 Jours ou Elle), se mettront en grève ; pis encore, les salariés d'Europe 1, radio phare du même groupe, cesseront eux aussi le travail, rédaction comprise, ce qui est une "première historique", selon les syndicats. Raison de ce mouvement : les plans de restructuration - accompagnés de suppressions de postes - annoncés dans ces deux branches, mais surtout l'absence totale de stratégie lisible dans le secteur médias du groupe, censé être l'activité favorite du patron, Arnaud Lagardère.
Autre motif d'énervement des journalistes : les multiples interventions du même Arnaud Lagardère en faveur de celui qu'il présente volontiers comme son ami, voire comme son "frère", Nicolas Sarkozy. Il est d'ailleurs à noter que ces grandes protestations d'amitié sont unilatérales : le président de la République cite volontiers parmi ses proches, ou parmi ceux dont il admire la réussite, des chefs d'entreprise comme Martin Bouygues, Vincent Bolloré, Bernard Arnault, François Pinault ou d'autres, mais jamais Arnaud Lagardère.
En revanche, ce dernier fait toujours le maximum pour être bien en cour : en juin 2006, il avait offert à Nicolas Sarkozy la tête du directeur de la rédaction de Paris-Match, Alain Genestar, "coupable" d'avoir mis en couverture en août 2005 Cécilia Sarkozy et l'homme pour lequel elle avait quitté son mari (Lagardère se targuait à l'époque d'avoir obtenu en échange le soutien des élus parisiens de l'UMP dans l'attribution de la concession du site sportif de la Croix-Catelan, concession qui lui a été donnée par le maire socialiste de Paris après avoir été retirée au Racing Club de France dans des conditions scandaleuses) ; voici trois semaines, il censurait un article du Journal du Dimanche (qui lui appartient) révélant que la même Cécilia Sarkozy n'avait pas voté au second tour de la présidentielle ; enfin, il aurait ces jours-ci cédé aux pressions de Rachida Dati concernant la publication dans Paris-Match de photos d'enfance de la ministre de la Justice.
Il est vrai qu'Arnaud Lagardère a beaucoup de gages à donner pour faire oublier son comportement comme co-président d'EADS, son autre casquette patronale. Car l'enquête sur de probables délits d'inités commis en mars et avril 2006, lorsque des responsables du groupe aéronautique ont revendu des stock-options ou des actions d'EADS avant que le titre ne s'effondre en Bourse suite aux révélations sur les retards de production de l'Airbus A-380, progresse rapidement. Il semble désormais acquis que les principaux dirigeants d'EADS ont été informés de ces retards dès le 6 mars, que le Conseil d'administration du 7 mars les a évoqués, alors qu'ils ne seront rendus publics que le 13 juin. Entretemps, le groupe Lagardère aura cédé le 4 avril la moitié de sa participation dans EADS, soit 7,5% du capital, pour la somme de 2 milliards d'euros : le 14 juin, les actions ainsi cédées n'auraient plus valu "que" 1,15 milliard... Plus grave : le groupe Lagardère étant une société en commandite par actions, l'enrichissement personnel pourrait être retenu si le délit d'inités était établi à son sujet.
Niant formellement avoir été informé des retards de l'A-380, Arnaud Lagardère avait déclaré l'an dernier au journal Le Monde : "J'ai le choix de passer pour quelqu'un de malhonnête ou d'incompétent. J'assume cette deuxième version". Le tout est de savoir si les deux hypothèses sont vraiment incompatibles... Quoi qu'il en soit, son "frère" Nicolas, qui a pris vigoureusement en mains le dossier Airbus, n'a plus qu'une idée en tête : faire sortir rapidement Lagardère du capital d'EADS, entreprise qu'il a déjà suffisamment perturbée. Mais par qui le remplacer ? Quel sera le futur grand opérateur industriel français actionnaire de référence d'EADS ? Gageons que le chef de l'Etat doit actuellement faire le tour des candidats potentiels, et que l'amitié - réelle ou autoproclamée - tiendra peu de place dans ses choix ultérieurs.
Un dernier point en ce qui concerne Arnaud Lagardère. Sa seule vraie passion, on le sait, est le sport-business. Il a créé à cette fin le Team Lagardère (on admirera la modestie de l'intitulé...), censé mettre à la disposition des champions qu'il achète à coups de millions des moyens de préparation et d'entraînement ultra-performants. Dans le tennis, il agace sérieusement la Fédération Française, dont il vient concurrencer les structures et débaucher les hommes. Son ami Bertrand Delanoë lui a même octroyé les concessions parisiennes du stade Jean-Bouin et de la Croix-Catelan, afin qu'il n'ait pas à financer lui-même d'onéreuses installations. Résultat : pour la première fois depuis dix ans, tous les joueurs de tennis français, hommes ou femmes, ont été éliminés dès la première semaine de l'Open de Roland-Garros ! A commencer par le protégé personnel d'Arnaud Lagardère, celui qu'il fait volontiers transporter de tournoi en tournoi à bord de son jet privé, le jeune Richard Gasquet : sorti dès le deuxième tour par un Belge inconnu, Gasquet a publiquement regretté après sa défaite avoir quitté le giron fédéral. Décidément, il est peu de domaines où l'héritier impose sa marque...
Dernière minute : les rédactions presse écrite et radio du groupe Lagardère ont décidé finalement lundi soir de ne pas se mettre en grève, après avoir notamment obtenu la suspension du plan de restructuration d'Europe 1 et des 42 départs "volontaires" qu'il comprenait. Ceci ne retire évidemment rien aux lignes qui précèdent.
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