Ce lundi ont été connus les résultats du baccalauréat. Comme d’habitude, le taux de 80% de réussite sera atteint et même dépassé, puisque près de 75% des candidats ont été reçus directement, sans avoir à passer les oraux de rattrapage. Tant mieux pour les heureux élèves concernés et pour leurs parents (dont je fais partie cette année…). Mais quelle est la valeur d’un diplôme aussi généreusement octroyé ? Professeur d’anglais depuis 1978, un internaute fidèle de ce blog m’a transmis un diagnostic aussi dur que lucide sur l’état réel de notre Education nationale, que je reproduis ci-dessous. Partagez-vous son avis ? A vous de nous faire connaître vos expériences et vos analyses sur un sujet qui nous concerne tous.
La Citadelle du mensonge
Par Jules Chasselang, Enseignant
"Personne, aujourd’hui, à quelque niveau que ce soit, n’aurait l’idée saugrenue de déclarer que l’Education Nationale se porte bien.
Mais de là à oser mettre le doigt à l’endroit où çà fait le plus mal, il y a de la marge, il y a un gouffre, il y a un océan d’hypocrisie plus ou moins bien dissimulée.
Tant de réunions, de colloques, de pétitions, de circulaires, de proclamations, de grèves, d’exhortations à défendre les « valeurs », qui souvent s’accordent fâcheusement aux vieilles lubies passéistes, (Egalité, Réussite Pour Le Plus Grand Nombre...), sans que jamais ne soit nommée l’évidence : nous crevons à petit feu de notre propre malhonnêteté.
Tant de faux débats, afin que nul esprit, accablé par la honte, n’en vienne à jeter à la face des tartuffes : nos Bulletins Officiels sont à l’Instruction Publique ce que "la Pravda" était au bonheur de la Classe Ouvrière.
Et pour que cette évidence indicible le reste, il faut du fric, des crédits, des « moyens ». Les crédits, c’est l’aspirine de L’Education Nationale ! Ça calme la douleur un moment, mais ça ne guérit pas le mal qui nous taraude. Et pour cause ! Quelle fraction du revenu national pourrait nous guérir de notre goût pour la politique de l’autruche ?! Combien de « moyens » faut-il pour maintenir jusqu’en 3ème (où le redoublement est « de droit ! ») des élèves démotivés mais arrogants, dopés par l’assurance de l’impunité, qui imposent à leurs camarades de classe des conditions d’études qui tirent vers le bas ceux qui s’obstinent à essayer de travailler.
Merci à M. Haby, ministre de Giscard d’Estaing, qui a « lancé » le Collège Unique !
Merci à M. Jack Lang, génial inventeur de la « pédagogie du détour »
Merci à M. Chevènement, génial initiateur des 80% d’une classe d’âge au niveau du Bac !
A eux trois, ils auraient pu fonder le Parti de la Pensée Unique. Ils ne l’ont pas fait, cela eût rendu leur projet trop évident. Mais pour être non-dites, certaines collusions n’en sont pas moins réelles.
Et enfin, un grand merci à tous les anonymes qui font semblant de ne pas voir que le naufrage- planifié dès 1975- a déjà englouti des générations d’élèves devenus parents (et même profs !) à leur tour !
C’est généralement à ce moment qu’on vous rétorque : « Mais vous oubliez les bonnes filières, et les élèves qui réussissent ! » Certes, ils existent, et heureusement ! Mais qu’est-ce que cela prouve ?
Pourquoi faudrait-il que la réussite d’une minorité fasse oublier la déshérence du plus grand nombre, et maintenir à un coût humain et financier exorbitant un système qui produit une masse de Bac+2 qui ne savent pas écrire le français ?
Parce qu’il faut « faire du chiffre ». Parce que, selon la logique imparable de l’Education nationale, le niveau général « monte » puisqu’il y a de plus en plus de diplômés ! CQFD !
Personne, au sein de l’E.N, n’ignore que les statistiques sont soviétoïdes, personne n’est dupe de la valeur de certains diplômes, mais l’essentiel, n’est-ce pas, est de n’en rien dire, le contribuable est tellement généreux !
Et c’est sa générosité sans faille qui justifie la fuite en avant, et la présence désormais acquise, dans les classes de Collège, d’une masse d’élèves amorphes, sans véritable désir d’apprendre, puisque leur présence à l’école, du CP jusqu’en classe de 3ème, ne constitue plus pour eux un enjeu.
Ce n’est pas « Pourquoi ne travaillent-ils pas ? » qu’il faut se demander, mais plutôt : « Pourquoi travailleraient-ils ? », alors qu’ils savent qu’on obtient un passage en 2ème Cycle du Secondaire avec des notes inférieures à la moyenne en Français, en Maths, en Langues, en Physique !
Le Collège Unique, c’est, en mettant les choses au mieux, du pur délire d’idéologues, mais c’est aussi plus vraisemblablement la volonté d’en finir avec une instruction publique responsable, elle-même gage d’indépendance intellectuelle et civique.
Lorsque les pilotes sont ivres, (dopés au cynisme serait plus exact), le navire est condamné à prendre l’eau, et n’était-ce pas, au fond, le but recherché ?
L’Education « nationale », c’est ce « grand corps malade » qui a accepté, par la plus banale lâcheté, presque par lassitude pourrait-on dire, que s’installe l’odeur douceâtre de la décomposition, et d’en faire son quotidien.
La démagogie, le clientélisme en direction des familles qu’il ne faut surtout pas déranger, ont été, pendant d’interminables décennies, et sont plus que jamais, le substrat sur lequel a poussé le mensonge, nourri par tout ce que l’institution compte de neo-staliniens.
La perversion des mots par ceux qui ont en principe pour profession d’en défendre l’intégrité, voilà le « secret » de la déliquescence de la tant vantée « Ecole de Jules Ferry ».
Que ceux qui ont reçu mandat de réformer prennent bien garde de ne pas s’imaginer que l’on peut guérir le malaise des soutiers en rémunérant leur complicité face au mal qui les ronge !
Davantage de tricheries, même bien payées en heures supplémentaires défiscalisées, ne ferait que flatter le Mammouth dans ce qu’il a de plus méprisable, et qui est le fond de l’affaire : son goût pour la fuite en avant, vers davantage de dissimulation, de mensonge.
Qui osera prononcer les mots tabous, interdits dans nos Collèges ? Qui osera parler, pour faire face au gâchis, de sélection, d’apprentissage ?
Qui osera dire aux parents d’élèves que l’acharnement pédagogique dans l’uniformité est la pire des solutions pour atteindre les objectifs tant médiatisés ?
Oui, le Collège Unique est un Collège inique, parce que les élèves, même ceux qui ont de mauvais résultats scolaires, sont tout à fait capables de comprendre - même s’ils ne peuvent ou n’osent le formuler- que les adultes (« profs », parents, Ecole…) ont choisi la malhonnêteté, les faux-fuyants, la lâcheté face au marasme afin de ne pas remettre en cause les situations acquises, les vieilles pseudo-évidences dont personne n’est plus dupe.
Au pays de l’Ecole Républicaine, les adultes baissent la tête et regardent le bout de leurs chaussures ou le plafond, quand par hasard un mot tabou explose importunément au cours d’une réunion ou d’un Conseil de classe.
Qui osera faire la seule réforme vraiment nécessaire, la plus simple mais la plus radicale, celle qui consisterait à imposer un peu d’honnêteté à tous les échelons de notre énorme machine à fabriquer la langue de bois ?"
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