Si l'on peut tenter de tirer les conclusions de ce qui est devenu "l'affaire Guy Môquet", en ce jour où la dernière lettre de ce jeune garçon fusillé par les nazis devait être lue dans les écoles à la demande de Nicolas Sarkozy, deux leçons essentielles me viennent à l'esprit. La première est que l'utilisation des symboles historiques, fût-ce avec les meilleures intentions, comporte toujours des risques ; la seconde est que le Parti communiste, même descendu à 2% de l'électorat, possède toujours le même cynisme, le même sectarisme et la même impudence qu'à l'époque des Thorez, Duclos et autres Waldeck-Rochet de sinistre mémoire.
En choisissant d'honorer la mémoire de Guy Môquet, Nicolas Sarkozy voulait sans doute rappeler à la jeunesse d'aujourd'hui que l'Histoire est tragique, et que des adolescents qui avaient le même âge qu'eux ont dû, il n'y a pas si longtemps, affronter la mort en face dans des circonstances dramatiques. Et il est incontestable que le jeune Guy Môquet, à 17 ans, le fit avec un courage, une lucidité et une dignité qui forcent l'admiration ; que le texte de la lettre qu'il écrivit à ses parents et à son frère la veille de sa mort fait encore frissonner soixante-six ans après ; bref, que ce lycéen exécuté par les Allemands le 22 octobre 1941 au camp de Châteaubriant est mort en héros.
En héros, oui ; en héros communiste, certainement ; mais pas en héros de la Résistance. Et c'est là où la démonstration symbolique voulue par le président de la République se heurte à la vérité historique. Le Parti communiste français, auquel appartenait Guy Môquet, avait été dissous dès 1939 et ses responsables (parmi lesquels le père de Guy, député communiste de Paris) arrêtés par le gouvernement Daladier (pas par le régime de Vichy !) à cause du Pacte germano-soviétique qui faisait de l'URSS et de l'Internationale communiste des alliés de l'Allemagne nazie. Le jeune Guy Môquet fut appréhendé et emprisonné un an plus tard, en octobre 1940, toujours en vertu des mêmes textes de la IIIème République, pour avoir distribué des tracts communistes qui réclamaient la libération des membres du Parti emprisonnés et s'en prenaient aux "magnats de l'industrie" responsables de la défaite, mais en aucun cas à l'occupant allemand. Il n'est donc pas assimilable aux quelques militants communistes isolés qui s'attaquèrent dès cette époque aux nazis, et furent d'ailleurs souvent désavoués par leur parti, qui ne basculera dans la Résistance que lorsque l'Allemagne envahira l'été 1941 sa "maison-mère", l'Union soviétique...
En revanche, c'est à la suite d'un acte de Résistance commis le 20 octobre 1941 à Nantes - le meurtre d'un officier supérieur allemand - que Guy Môquet et 26 autres otages seront fusillés deux jours plus tard. Tel est le simple et incontournable rappel des faits : le Parti communiste et ses compagnons de route (au premier rang desquels l'omniprésent journaliste Pierre-Louis Basse) ont beau expliquer que "l'Histoire est un corpus mouvant" (sic !), il n'en demeure pas moins que Guy Môquet n'a jamais appartenu à la Résistance, et peut donc difficilement en devenir le symbole.
Au moins Nicolas Sarkozy eût-il pu espérer une relative gratitude du Parti communiste pour avoir fait passer la véracité historique après la charge émotionnelle en donnant son militant assassiné en exemple à la jeunesse française d'aujourd'hui. Il n'en a évidemment rien été. Fidèle à lui-même, plus haineux que jamais, le PC n'a eu de cesse de retourner contre le président de la République son initiative, et de dénoncer dans cet hommage républicain une soi-disant "récupération politicienne". En fait de "récupération", il faut avoir entendu Marie-Georges Buffet protester en clamant que "si Guy Môquet était parmi nous aujourd'hui, il serait membre du Réseau Education Sans Frontières", ce qui au passage en dit long sur les liens entre son parti et cette association d'aide aux sans-papiers ; ou encore Pierre-Louis Basse, le journaliste déjà cité qui se vante d'avoir "44 Fêtes de L'Huma au compteur, et sans doute une de plus dans le ventre de ma mère" (1), se demander si "nous sommes encore dignes de l'héritage de Guy Môquet, dans le pays du Karcher et de l'exclusion" !
Le résultat de ce matraquage était prévisible. Plusieurs membres du gouvernement participant à cet hommage, notamment le ministre de la Justice, Rachida Dati, et celui de l'Education, Xavier Darcos, ont été sifflés ou hués aujourd'hui dans les établissements scolaires où ils s'étaient rendus par des militants communistes, au premier rang desquels, hélas, des enseignants. Qui ont une fois de plus donné à leurs élèves un bel exemple de civisme et d'ouverture d'esprit...
(1) L'Humanité, 15 septembre 2007.
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