A l'heure où j'écris ces lignes, on ignore encore à peu près tout de l'étrange opération montée par l'association "L'Arche de Zoé" pour rapatrier en France 103 enfants du Darfour ; on ne sait pas si ces enfants étaient vraiment orphelins et n'avaient plus aucune famille capable de les recueillir sur place ; on n'est même pas sûr qu'ils soient tous d'origine soudanaise, certains étant apparemment Tchadiens ; on a des doutes sur leur état de santé, les bandages qui enveloppaient la tête ou les membres de plusieurs d'entre eux ne recouvrant, d'après le responsable local de l'Unicef, aucune blessure ; on s'interroge sur les sommes importantes versées par les familles d'accueil, présentées par les uns comme une participation aux frais de rapatriement et par les autres comme le "prix d'achat" des enfants ; on se demande s'il s'agissait d'un accueil temporaire, jusqu'à ce que la situation au Darfour se normalise, ou d'une adoption définitive ; on se pose des questions sur l'attitude réelle des autorités françaises et tchadiennes vis-à-vis de cette opération préparée de longue date. Bref, la confusion est totale.
Une chose, en tout cas, est certaine. Un tel événement n'a pu avoir lieu - avec la participation de dizaines de familles - qu'en raison de l'immense délire compassionnel dans lequel nous sommes plongés depuis des années. La culpabilisation et la repentance dans lesquelles nous baignons vis-à-vis du tiers-monde a convaincu beaucoup d'entre nous - généralement des gens d'une totale bonne foi - que nous sommes responsables des malheurs des pays pauvres et que nous devons réparer en hébergeant chez nous "toute la misère du monde", pour reprendre la formule chère à Michel Rocard.
Alors, stars du show-biz en tête, c'est à qui ira chercher des enfants à recueillir ou à adopter dans les pays les plus "exotiques", de l'Afrique subsaharienne à l'Asie en passant par l'Amérique latine. Une démarche où se mêlent désir de publicité chez les "people", charité réelle chez les anonymes, et égoïsme inconscient chez presque tous. Qui se soucie vraiment, au fond, de l'intérêt réel de ces enfants que l'on arrache à leur pays, à leur milieu et à leur culture ? Qui s'interroge sur leur avenir, lorsqu'ils réaliseront à partir de l'adolescence que leurs racines sont ailleurs et qu'ils voudront légitimement les retrouver ? Qui osera reconnaître que, même si certains réussiront à s'intégrer harmonieusement dans la société française, beaucoup se retrouveront dans une position de "no land's man" bien difficile à vivre ?
Bien sûr, dire cela, c'est probablement adopter une attitude "xénophobe et réactionnaire", puisque c'est admettre qu'il existe des nations et des cultures diverses, qui n'ont pas forcément toutes vocation à se fondre dans un grand melting-pot universel. C'est ne pas se soumettre au dogme sacré du "droit d'ingérence", selon lequel n'importe qui a le droit et le devoir de se mêler de tout sur la planète au nom des grands principes humanitaires, quitte à provoquer de véritables catastrophes. Poussé à l'extrême, ce dogme conduit à ignorer la souveraineté des Etats et à ne pas respecter leurs lois, comme l'a fait "L'Arche de Zoé" au Tchad. En France aussi d'ailleurs, si l'on en croit un des parents d'accueil ; interrogée à la radio, cette femme, faisant allusion à l'expulsion des enfants scolarisés d'immigrés clandestins, s'exclamait : "Nous, on veut accueillir des enfants africains alors que la France les rejette !" Comme quoi une compassion mal maîtrisée peut conduire à de regrettables dérives politiques.
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