A peine ficelé à Lisbonne par les vingt-sept membres de l'Union européenne, le "traité simplifié" est déjà l'objet des commentaires les plus extrêmes. Ses partisans y voient une véritable renaissance de l'UE, soi-disant paralysée par les "non" français et hollandais à la Constitution VGE ; ses adversaires dénoncent une "haute trahison" du président de la République française, qui aurait tourné le "non" de son peuple au référendum de 2005 en faisant adopter les mêmes dispositions dans son "mini-traité" et en s'apprêtant à faire ratifier par la voie parlementaire.
Car c'est bien Nicolas Sarkozy qui est en première ligne dans cette affaire : c'est lui qui a lancé il y a vingt mois, à l'orée de sa campagne présidentielle, l'idée d'un mini-traité, devenu depuis traité simplifié, pour sortir de la crise institutionnelle ouverte par le rejet de la Constitution Giscard ; c'est lui qui, en cinq mois de mandat, a réussi à faire reprendre cette initiative par nos principaux partenaires jusqu'à son adoption hier par les 27. Ce succès diplomatique est donc incontestablement le sien et celui de la France. Reste maintenant à en examiner le fond : comme tout texte de compromis, on y trouve du bon et du moins bon.
LE BON
- Ce traité donne à l'Union européenne des institutions adaptées à sa configuration actuelle. Après l'élargissement de 15 à 27 membres, les institutions précédentes, celles du traité de Nice, ne pouvaient plus fonctionner. La règle de l'unanimité, notamment, devenait de plus en plus inapplicable.
- Ce texte N'EST PAS UNE CONSTITUTION, même s'il reprend beaucoup des propositions institutionnelles du projet Giscard. N'étant pas une Constitution au sens juridique du terme, il ne peut servir d'étape vers une Europe fédérale reposant sur la disparition des Etats-nations qui la composent. Tous les symboles fédéralistes - hymne, drapeau, devise - disparaissent du texte. Les partisans de l'Europe supra-nationale ont beau faire "comme si", ils ont subi un véritable revers.
- La création d'un poste de "Président du Conseil européen", élu pour deux ans et demi par les chefs d'Etat et de gouvernement, met fin au système absurde de la présidence tournante tous les six mois. Ce Président enlève par ailleurs une partie de son poids au Président de la Commission européenne, qui devra partager avec lui la représentation extérieure de l'UE, et se voit peu à peu ramené au rôle purement technique qu'il n'aurait jamais dû quitter. De plus, le Président de la Commission devra désormais être proposé par le Conseil et confirmé par un vote du Parlement européen.
- Autre camouflet pour la Commission de Bruxelles, le renforcement des rôles des Parlements nationaux. Ceux-ci pourront demander à la Commission de réexaminer un projet empiétant sur les compétences nationales, et même, si elle refuse, faire bloquer ce projet par les Etats-membres.
- La règle de l'unanimité est préservée pour la politique étrangère, la fiscalité, la politique sociale, les ressources de l'UE ou la révision des traités (notamment celui-ci). Pour les autres domaines, le vote d'une double majorité qualifiée, représentant au moins 55% des Etats-membres et 65% de la population de l'Union, est requise, afin de préserver à la fois la volonté des "grandes" nations et les intérêts des "petites". Cette double majorité qualifiée s'appliquera dans un certain nombre de nouveaux domaines, en particulier la coopération judiciaire et policière.
- Une clause de sortie de l'Union européenne est introduite : même si elle est symbolique, elle efface le caractère "irréversible" voulu par les supra-nationalistes.
LE MAUVAIS
- Un poste de "Haut Représentant de l'UE pour la politique étrangère et la sécurité" est créé pour remplacer le ministre des Affaires étrangères prévu par la Constitution VGE. Ce poste est d'autant plus inutile que la règle de l'unanimité continue - heureusement - de s'appliquer dans son domaine de compétence.
- La "Charte européenne des droits fondamentaux" acquiert une force contraignante vis-à-vis des Etats-membres. Il est extrêmement regrettable que la France n'ait pas demandé et obtenu une dérogation sur ce point, comme ont su le faire la Grande-Bretagne et la Pologne. C'est d'autant plus incompréhensible que plusieurs points de ce texte fourre-tout sont en contradiction totale avec la politique actuelle de la France. Par exemple, l'article 19 de la Charte interdit les "expulsions collectives", que nous sommes obligés de pratiquer pour tenter d'endiguer l'immigration clandestine. De même, comment s'opposer au mariage homosexuel quand l'article 21 interdit "toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle" ?
- Enfin la phrase du projet Giscard précisant que la concurrence sur le marché intèrieur européen doit être "libre et non faussée" disparait pour être reprise dans un simple protocole annexé au traité.
Ce texte n'est donc ni une "Constitution-bis", ni "la fin de la France", comme on peut l'entendre ici ou là. Mais son mode de ratification, à la fin de cette année ou l'an prochain, risque également de poser problème. Nicolas Sarkozy penche, comme il l'avait dit pendant sa campagne électorale, pour une ratification parlementaire, plus rapide techniquement et moins risquée politiquement. Pourtant, selon un sondage Harris publié par le Financial Times, une large majorité des électeurs des cinq plus grands pays européens - 63% en France - souhaiterait un référendum. Ne serait-ce pas là un beau défi à relever pour un président de la République dont la force de conviction n'est plus à démontrer ?
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