Dix mille suppressions de postes, dont 4300 en France : le plan de restructuration "Power 8", présenté par Louis Gallois pour redresser l'avionneur européen, bouleverse d'abord les salariés concernés. Mais aussi les candidats à la présidentielle, dont certains font depuis quelques jours assaut d'inepties démagogiques, à défaut d'énoncer les vrais problèmes dont souffrent Airbus et sa maison-mère, le groupe EADS.
Contrairement à la "tarte-à-la-crème" serinée par les radios et les télévisions, ce ne sont pas les "égoïsmes nationaux" qui ont mené Airbus dans ses actuelles difficultés : la preuve en est que la France et l'Allemagne se sont assez vite entendues pour une répartition "équitable" des sacrifices à accomplir. En fait, les maux qui frappent l'entreprise sont de trois ordres : l'économie mixte, l'absence de véritable opérateur industriel et l'euro fort.
Mêlant actionnaires publics - les Etats allemand et français - et privés, EADS est bien représentatif des tares de l'économie mixte. Alors qu'auparavant le GIE Airbus Industries fonctionnait à la satisfaction générale, la mise en oeuvre de ce "meccano" a entraîné les ratés habituels de ce type de structure : Etat(s) mauvais actionnaire(s), gouvernance d'entreprise aléatoire, interférences politiques dans les décisions prises. Sur ce dernier point, la désignation de Noël Forgeard comme co-président d'EADS en rempacement de Philippe Camus, en décembre 2004, fut particulièrement symbolique : Jacques Chirac soutenait Forgeard, qui fut membre de son cabinet à Matignon en 1986, et finit par imposer sa nomination à Arnaud Lagardère en échange... de quelques arrangements fiscaux concernant la succession de son père, décédé l'année précédente ! On connait les conséquences - désastreuses pour le groupe - de ce choix. Et c'est précisément le caractère mixte de l'entreprise que Ségolène Royal, qui s'est jetée sur la crise actuelle en y voyant du grain électoral à moudre, voudrait accroître en augmentant le rôle de l'Etat et en faisant entrer les Conseils régionaux (socialistes) dans le capital d'EADS ! Outre que leur participation ne pourrait y être que symbolique, compte tenu de leurs moyens, ce n'est certainement pas par ce biais qu'Airbus retrouvera des possibilités de manoeuvre face à son concurrent Boeing, qui a déjà opéré sa restructuration.
Plutôt que de nouveaux partenaires publics, c'est au contraire d'un véritable opérateur industriel privé dont EADS et Airbus ont en fait besoin. Car tel est le deuxième problème grave auquel le groupe est confronté : ses deux principaux actionnaires privés, DaimlerChrysler côté allemand et Lagardère côté français, s'en désintéressent et ne songent qu'à s'en retirer. Chez nous, l'attitude d'Arnaud Lagardère a été particulièrement dévastatrice : depuis son arrivée à la tête du groupe forgé par son père, l'héritier, que seul le sport-business passionne véritablement, n'a cessé de proclamer qu'en ce qui le concerne l'espace et l'aéronautique n'étaient pas sa tasse de thé, et qu'il souhaitait s'en désengager au plus vite. Au plus vite, mais pas en allant jusqu'à s'oublier au passage : l'an dernier, les conditions dans lesquelles il a vendu en Bourse la moitié de sa participation dans EADS juste avant la plongée du cours a justifié l'ouverture de plusieurs enquêtes, un fort soupçon de délit d'initié planant sur cette opération. Même s'il reste présumé innocent dans cette affaire, son attitude générale vis-à-vis de l'avionneur n'a guère de quoi motiver les ingénieurs, cadres et ouvriers qui y travaillent...
Enfin, dernier des maux qui accablent EADS-Airbus, l'euro fort. L'absurde politique monétaire menée en l'absence de toute menace inflationniste par la BCE et Jean-Claude Trichet a, là comme ailleurs, porté ses fruits. Un fin connaisseur du secteur aéronautique le confirme : "Même si EADS et Airbus n'avaient pas les problèmes de gouvernance et d'actionnariat qu'ils ont, la parité dollar-euro actuelle leur crée un tel problème commercial que le groupe serait de toute façon en crise."
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