Pris entre les appels au "vote utile", lancés en particulier par une gauche qui cauchemarde à l'idée de reprendre une claque comparable à celle du 21 avril 2002, et l'évocation mi-clandestine de "derniers sondages" aussi suspects que contradictoires, l'électeur se sent perdu. Il se croit obligé de jouer au plus fin stratège politique, de tenter avec son bulletin du premier tour un coup de billard à trois bandes, du style : "Par goût personnel, j'aurais plutôt tendance à voter Machin. Mais je vais peut-être voter Truc pour que Schmoll, qui sera probablement mon candidat au second tour, comprenne bien le message que j'ai voulu lui envoyer, c'est-à-dire que je ne veux surtout pas de Dugommier !".
Le seul problème, avec des raisonnements de ce genre, c'est que le risque est grand d'une part de se prendre les pieds dans le tapis, c'est-à-dire d'aboutir à un résultat strictement inverse de celui que l'on souhaitait, et d'autre part d'adresser à Schmoll un message tellement subtil que ni lui, ni les observateurs ou les analystes chargés de décrypter le premier tour n'en percevront la diabolique finesse... J'ai ainsi entendu ces jours-ci un de mes amis, incontestablement bien à droite (sympathisant villiériste), me tenir à peu près ce langage : "Comme je souhaite que Nicolas Sarkozy, pour qui je voterai sans problème le 6 mai, affronte Ségolène Royal et pas François Bayrou, dont les sondages disent qu'il pourrait alors l'emporter, et que la candidate socialiste me semble, toujours d'après les sondages, quelque peu en perte de vitesse, je vais peut-être voter pour elle ce dimanche afin qu'elle ne soit surtout pas éliminée dès le premier tour !". S'ils étaient nombreux à raisonner ainsi, nous pourrions avoir ce soir à 20 heures Ségolène largement en tête, ayant acquis une dynamique telle qu'elle deviendrait difficile à battre dans quinze jours. Et les commentateurs, soyez-en certains, ne retiendraient que le score triomphal de la Madone du Poitou et se bousculeraient sur les antennes pour louer l'intelligence de sa campagne, la finesse de sa stratégie et la justesse de son programme...
Lorsque les choses semblent complexes, il faut toujours en revenir aux "fondamentaux", comme disent les commentateurs sportifs. Le premier tour permet de voter pour le ou la candidat(e) le ou la plus proche de ses propres idées, et le seul message clair et incontestable que retiendront les experts ou présumés tels sera le score réalisé par chacun des douze prétendants. Et le second tour permet ensuite de choisir parmi les deux arrivés en tête celui ou celle qu'on juge le plus apte à devenir chef de l'Etat, ou en tout cas de faire barrage à celui ou celle dont on ne veut pas. "Au premier tour, on choisit, au second, on élimine", dit sagement le proverbe. Alors, aujourd'hui, n'hésitez pas, faites-vous plaisir, votez pour celui ou celle dont vous partagez vraiment les convictions, votez selon votre coeur, mais votez !
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