Voici plus de vingt ans, Michel Junot, adjoint de Jacques Chirac à la mairie de Paris et secrétaire général du Centre National des Indépendants (CNI), fit scandale en publiant dans le Figaro une tribune intitulée "Pas d'ennemi à droite". Il tentait d'y expliquer qu'il était suicidaire pour la droite de "mettre en quarantaine" les électeurs du Front national (qui commençait à l'époque son ascension électorale) et qu'il vaudrait mieux établir entre droite et extrême-droite des relations comparables à celles existant entre gauche et extrême-gauche. On sait ce qu'il en advint : Chirac engueula vertement Junot avant de le "placardiser" à l'Hôtel de Ville, et érigea un véritable "mur de Berlin" vis-à-vis du FN, bien aidé, il est vrai, par quelques provocations mal venues de la part de Jean-Marie Le Pen.
Or aujourd'hui, il semble que quelques-uns, à la droite de la droite, tiennent le raisonnement inverse. Il n'est pas rare en effet d'entendre certains de ceux qui ont l'intention, au premier tour, de voter pour Jean-Marie Le Pen ou Philippe de Villiers, affirmer qu'au second tour ils n'apporteront en aucun cas leur suffrage à Nicolas Sarkozy, auquel ils reprochent soit "d'être un Chirac-bis", soit de "vouloir faire une politique de gauche avec les voix de droite". Le Pen vient d'ailleurs d'abonder dans leur sens en qualifiant Sarkozy de "candidat de l'immigration", lui-même se présentant en "candidat du terroir", en quelque sorte plus Français que le président de l'UMP... Outre que cet argument n'est pas le plus relevé de la campagne, il est en complète contradiction avec le discours tenu la veille par le même Jean-Marie Le Pen sur la Dalle d'Argenteuil, lorsqu'il affirmait aux Français d'origine immigrée qu'ils étaient à ses yeux "des Français comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs"...
Est-il donc bien malin, alors que le départ à la retraite de Chirac et la prochaine succession de Le Pen à la tête du FN pourraient laisser espérer des lendemains différents, de relancer les anathèmes et les excommunications et de continuer à diviser durablement la famille de droite, donnant ainsi cette satisfaction posthume à François Mitterrand ? Je n'en suis pas convaincu, d'autant que la campagne menée par Nicolas Sarkozy et son éventuelle victoire apportent des éléments nouveaux qu'il serait stupide de ne pas prendre en compte.
D'abord, le président de l'UMP a fait campagne et semble aujourd'hui en mesure de l'emporter sur des thèmes de droite ! Affirmation de l'identité nationale et lutte contre l'immigration sauvage, revalorisation du travail face à l'assistanat, réforme du Code du travail, du syndicalisme et du droit de grève, baisse de la pression fiscale : avec lesquelles de ces idées un électeur de droite pourrait-il se dire en désaccord sur le fond ? Bien sûr, ne soyons pas naïfs, il ne faut pas voir là que l'expression de convictions personnelles plus ou moins profondes ; bien sûr, Sarkozy a également vu dans ces thèmes son intérêt électoral et une perspective de victoire. Mais rien que cela est une rupture complète par rapport à un passé récent : rappelez-vous que cela fait une trentaine d'années qu'on nous explique que "les élections se gagnent au centre", et que nous, gens de droite, devons savoir nous faire oublier quand s'écrivent les programmes afin de ne pas effrayer l'électeur du "marais" sans qui rien ne serait possible. Rien de tout cela cette fois-ci : Sarkozy n'a pas fléchi dans son positionnement à droite, et même l'émergence momentanée de Bayrou ou les froncements de sourcils de Simone Veil ne l'ont pas fait varier d'un pouce.
Mais, diront les plus sceptiques, il ne s'agit là que de promesses, et rien ne garantit que les mesures concrètes suivront. C'est vrai, et c'est pourquoi il est intéressant d'examiner ce qu'annonce Nicolas Sarkozy pour ses "cent premiers jours", les fameux trois mois de l'état de grâce, celui où l'on peut faire adopter par sa nouvelle majorité les textes les plus essentiels, mais aussi les plus difficiles. Or que prévoit le candiadt de l'UMP lors de la session extraordinaire du Parlement qui se tiendra dès le mois de juillet s'il est élu ?
- Une nouvelle loi sur l'immigration qui modifiera les conditions du regroupement familial : obligation pour l'accueillant d'avoir un travail et un logement lui permettant de faire vivre dignement sa famille, obligation pour les postulants de posséder des bases de la langue française ;
- La réforme de l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, la majorité pénale à 16 ans et l'instauration de peines planchers pour les multi-récidivistes ;
- L'exonération des charges sociales et d'impôt sur le revenu sur les heures supplémentaires, la suppression des droits de donation et de succession pour 90 à 95% des Français, la déduction de l'impôt sur le revenu des intérêts des emprunts contractés pour acheter sa résidence principale ;
- L'instauration d'un service minimum garanti en cas de grève dans les transports publics, la liberté de candidature dès le premier tour des élections professionnelles (abolition des fameux "critères de représentativité"), l'obligation d'un vote à bulletin secret pour la prolongation d'un mouvement de grève ;
- La réforme des universités, avec choix de l'autonomie et refonte de leurs conseils d'administration pour qu'ils ne soient plus dirigés comme actuellement par les syndicats d'enseignants.
Ces mesures rapides, annoncées dans le projet officiel du candidat UMP, sont en outre impatiemment attendues par une grande majorité de ses parlementaires : on ne voit donc pas comment il pourrait y renoncer. Certes, Nicolas Sarkozy peut susciter réserves et critiques ; certes, il lui est arivé de se tromper, parfois même lourdement, en particulier dans sa tentative d'organiser un "islam de France" en feignant d'oublier que l'Islam méconnait la séparation du spirituel et du temporel. Mais tout ceci ne saurait effacer qu'un fait majeur est sans doute en train de se produire dans la vie publique française : un candidat de droite est en passe de se faire élire sur des idées de droite pour mener une politique de droite ! Electeurs de(s) droite(s), cela vaut sans doute la peine d'y réfléchir...
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