Bien qu'il soit immodeste de se citer soi-même, je relis sans rougir ce que j'écrivais sur ce blog, sous le titre "Le vrai-faux succès du Béarnais", le 24 avril dernier : "Compte tenu de sa non-qualification pour le second tour de la présidentielle, qui risque de l'écarter pour cinq ou dix ans de la magistrature suprême en cas de victoire de Sarkozy, c'est donc aux élections législatives que sonnera l'heure de vérité pour François Bayrou. Qu'il se retrouve au soir du 17 juin sans groupe parlementaire et avec des électeurs dispersés aux quatre vents, et son beau résultat du 22 avril ne serait alors qu'un lointain souvenir..."
Nous en sommes bien là aujourd'hui. Fort d'un score aussi inespéré que trompeur au premier tour, François Bayrou s'est ensuite "planté" sur toute la ligne. Et d'abord en faisant preuve d'une incroyable hypocrisie dans ses choix de second tour. A la limite, il eut été respectable, de la part d'un centriste n'ayant pour seul objectif que la défense de ses idées, de refuser de choisir entre droite et gauche. Mais, mu uniquement par son ambition personnelle et sa certitude d'être l'homme providentiel dont la France aura un jour besoin, le Béarnais n'a pas su dissimuler sa rancoeur envers Nicolas Sarkozy et les siens, et n'a eu de cesse de provoquer leur défaite. Ce qui a donné, au second tour de la présidentielle, le mano a mano avec Ségolène Royal suivi de : "Je ne vous dis pas pour qui je voterai, mais vous pouvez deviner pour qui je ne voterai pas" ; ce qui donne pour le second tour des législatives : "Je ne donne pas de consigne de vote, mais l'essentiel est de défendre le pluralisme", pluralisme prétendument menacé par la vague bleue UMP attendue ce dimanche à l'Assemblée. Une attitude manifestement sanctionnée par une grande partie de ses électeurs du 22 avril, qui l'ont bel et bien abandonné... en rase campagne. Et qui lui pardonneront d'autant moins que, sur le terrain, plusieurs des têtes d'affiche du Modem, à commencer par Marielle de Sarnez, Anne-Marie Comparini, Azouz Begag ou Djamel Bouras, font ouvertement campagne pour les candidats socialistes.
Le résultat pourrait d'ailleurs être aussi cocasse que significatif après-demain, François Bayrou risquant bel et bien d'être le seul élu du Modem au Parlement. Un député ! Un seul ! Moins que le MPF de Philippe de Villiers ou les radicaux de gauche de Baylet ! Voilà qui témoignera clairement de l'aspect personnel de la démarche de celui qui, voici deux mois, se voyait porté à l'Elysée par la foule en délire et doté dans la foulée d'une majorité parlementaire venue de tous les horizons...
Une démarche qui reposait d'ailleurs sur une véritable imposture idéologique : on nous affirmait que l'émergence d'une grande troisième force centriste était inéluctable dans une démocratie moderne digne de ce nom, le clivage droite-gauche étant définitivement obsolète. On nous citait même l'Allemagne à l'appui de cette démonstration, en feignant d'oublier que l'actuelle grande coalition au pouvoir à Berlin ne résulte pas de la percée d'un parti centriste, mais d'un accord sur un programme précis et limité entre une droite et une gauche que les électeurs n'avaient pas franchement départagées. En fait, en Allemagne comme dans la plupart des démocraties comparables à la nôtre, la règle est au contraire la bipolarisation de la vie politique entre un grand bloc de droite libéral-conservateur et un grand bloc de gauche social-démocrate, une entente ou une coalition entre les deux étant une situation d'exception. Tel est aujourd'hui le cas aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Italie, et dans presque tous les pays de l'Europe du Nord.
Cette situation permet d'ailleurs de prédire sans grand risque d'erreur l'avenir du Modem. Les ambitions présidentielles de son leader étant repoussées au moins à 2012 (et peut-être même à 2017, si Sarkozy réussit son premier mandat...), la droite ayant fait le plein de voix et de sièges, il ne restera plus aux derniers militants bayrouistes qu'à jouer les supplétifs d'un Parti socialiste en pleine déconfiture et en quête de nouveaux alliés, communistes et écologistes ayant fondu comme neige au soleil. Avec sa "maladritude" habituelle, Ségolène Royal a vendu la mèche publiquement, ce qui lui a valu de se faire taper sur les doigts par ses petits camarades du PS. Il n'empêche que cette alliance constitue la seule porte de sortie possible pour François Bayrou et ses derniers partisans, comme le reconnait Daniel Cohn-Bendit lorsqu'il demande au Modem et au PS d'arrêter de jouer au "poker menteur". Dans plusieurs grandes villes, notamment Paris et Lyon, les grandes manoeuvres en ce sens ont d'ailleurs déjà commencé en vue des municipales de 2008. En s'alliant à la gauche, contraint et forcé, le Béarnais boira le calice jusqu'à la lie : ce qui ne manque pas de sel pour quelqu'un issu de la démocratie-chrétienne...
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