Si Nicolas Sarkozy escomptait - ce qui est peu probable - réformer la société française sans conflits majeurs, ces derniers jours et ces dernières heures ont dû lui confirmer que cette espérance était vaine. Tous les conservatismes, tous les corporatismes, tous les égoïsmes catégoriels - à commencer par les moins justifiables - sont en train de se liguer pour tenter de faire échec à la "rupture" voulue clairement par une large majorité de Français. Nous voici donc, à l'heure où j'écris ces lignes, assurés d'une grève reconductible à la SNCF (et probablement à la RATP) à partir du 13 novembre au soir, d'une journée de grève chez EDF-GDF le 14 novembre, dans la fonction publique le 20 novembre et dans la magistrature le 29, alors que l'Unef tente de mobiliser étudiants et lycéens. Le tout sous les prétextes les plus divers : réforme des régimes spéciaux de retraite, pouvoir d'achat, autonomie des universités, etc, etc.
L'épreuve de force est donc bel et bien en train de s'engager. Mais, contrairement à ce qui a pu se produire dans le passé, elle est loin d'être perdue d'avance pour le chef de l'Etat, son gouvernement et sa majorité, qui disposent d'atouts précieux pour mener la bataille qui s'annonce.
- Les réformes en cours sont soutenues, toutes les enquêtes le prouvent, par une très large majorité de nos compatriotes, plus importante même que celle qui a porté Nicolas Sarkozy au pouvoir. Ce ont en moyenne deux Français sur trois qui les approuvent, et même plus de 80% en ce qui concerne l'alignement des régimes spéciaux de retraite. Le mandat donné le 6 mai est donc plus que confirmé.
- Ce président de la République possède - il l'a prouvé avant et depuis son élection - une capacité de conviction, d'explication et d'adhésion tout-à-fait exceptionnelle, comme il l'a encore montré voici quelques jours en se rendant dans un dépôt de cheminots en Seine-Saint-Denis. S'y ajoutent une réelle volonté de faire ce pour quoi il a été élu et une détestation manifeste de l'échec, qualités bien utiles pour traverser les orages à venir. Lui et son gouvernement pourront en outre s'appuyer sur une majorité parlementaire trop heureuse de se ressouder pour mener des combats essentiels.
- Enfin, derrière une unité de façade, les syndicats sont profondément divisés, entre eux et parfois même en interne. La CFDT hésite à ruiner son image réformiste, Bernard Thibault cherche à reprendre en main ses jusqu'au-boutistes de la CGT, certaines organisations, telles les autonomes, sont prêtes à négocier les modalités d'application de réformes dont elles ne contestent pas toujours le bien-fondé. Aux pouvoirs publics de leur proposer du "grain à moudre" sans rien céder sur le coeur même de ces réformes.
Reste que toutes ces grèves vont lourdement perturber la vie des Français dans les semaines qui viennent. Et que la nécessité d'un VRAI service minimum dans les transports en commun est plus que jamais d'actualité. On le sait, le Parlement a voté le 2 août dernier une loi-cadre "sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs". Ce texte donne aux collectivités et aux entreprises concernées jusqu'au 1er janvier 2008 pour fixer par la négociation les obligations et les modalités des "niveaux de service" exigibles en cas de grève.
Or cette négociation est à peu près partout au point mort, les syndicats n'ayant aucune intention de donner un contenu à une loi qu'ils refusent. Si ce blocage persiste, il appartiendra au gouvernement de fixer lui-même ce contenu. Deux pistes lui permettraient alors d'afficher sa fermeté dans le bras de fer voulu par certaines organisations syndicales :
- la réaffirmation que ce service minimum devra comporter trois heures de service normal le matin et trois heures de service normal dans la soirée, comme annoncé par Nicolas Sarkozy pendant la campagne électorale ;
- l'extension au transport aérien de ces dispositions, indispensable comme l'a encore montré la pagaille du week-end dernier lors de la grève des navigants commerciaux d'Air France.
Un dernier mot, pour terminer sur un sourire. L'Opéra de Paris est lui aussi en grève depuis vendredi, à l'appel de la CGT, pour défendre son régime spécial de retraite (déficitaire de 10 millions d'euros par an). Or ce régime fut octroyé... en 1698 par le roi Louis XIV ! La CGT se battant pour défendre les acquis de l'Ancien Régime : elle n'est pas belle, la vie ?
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