De plus en plus intéressante, l'affaire de l'Arche de Zoé, et pas seulement parce qu'elle confirme l'efficacité de la méthode Sarkozy lorsqu'il s'agit d'obtenir la libération de ressortissants français ou européens détenus à l'étranger. Elle a aussi le mérite de placer sous les projecteurs l'imposture intellectuelle de notre plus célèbre "nouveau philosophe", l'ineffable Bernard-Henri Lévy, qui apparaît surtout comme un "nouveau néo-colonialiste" dans son désir de justifier le concept de "devoir d'ingérence" envers et contre tous les droits des Etats, africains ou pas.
A priori, pourtant, le néo-colonialisme, BHL n'aime pas. La chemise blanche largement échancrée, il le traque sur tous les plateaux de radio et de télévision, tel le chasseur au gros en plein safari. Récemment encore, il s'en est violemment pris au discours prononcé en juillet à Dakar par le président français, texte qualifié d'"ignoble" et son auteur, Henri Guaino, de "raciste". Pourquoi tant de haine ? Parce que Nicolas Sarkozy, après avoir pourtant dénoncé dans cette intervention la colonisation comme une "grande faute", même si "tous les colons n'étaient pas des voleurs ou des exploiteurs", rappelait à l'Afrique quelques vérités pas forcément agréables à entendre, à savoir que "la colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique", le problème de celle-ci n'étant pas de "s'inventer un passé plus ou moins mythique pour s'aider à supporter le présent, mais de s'inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres". "Dire cela en effaçant complètement la colonisation (...), c'est du racisme", tranchait sur France-Inter le procureur BHL.
Alors, quel bonheur de le retrouver quelques jours plus tard prenant sur les ondes la défense des hurluberlus irresponsables de l'Arche de Zoé. Qualifiant leur arrestation de "prise d'otages à l'échelle d'un Etat", il n'hésite pas à comparer leur situation à celle des infirmières bulgares naguère détenues en Libye, en oubliant un léger détail : ces dernières étaient totalement innocentes de l'accusation délirante portée contre elles - avoir inoculé volontairement le virus du Sida à des enfants libyens - alors que les humanitaires dévoyés de l'Arche ont bel et bien violé les lois du pays dans lequel ils opéraient, après avoir trompé sur leurs objectifs les autorités tchadiennes et françaises.
Mais peu importe à BHL ! Refusant toute remise en cause du "droit d'ingérence" (lire ci-dessous à ce sujet ma note du 27 octobre), dont il affirme avec sa modestie coutumière être "l'inventeur", il en vint même, samedi soir chez Laurent Ruquier, à approuver le non-respect des frontières des Etats africains, sous prétexte qu'elles auraient été jadis "fixées par des seigneurs de guerre" : comment qualifier un tel argument, si ce n'est de purement néo-colonialiste ? Au passage, il se déchaine en couvrant d'injures le président tchadien Déby, ce qui n'est sans doute pas le meilleur moyen de venir en aide aux Français détenus là-bas... Il affirme également qu'Idriss Déby veut s'appuyer sur cette affaire pour remettre en cause le déploiement prochain d'une force d'interposition au Darfour, alors que le président tchadien a redit depuis le début que ces deux dossiers n'étaient pas liés, et n'a pris aucune initiative en ce sens.
L'hystérie béachélienne indispose aujourd'hui jusqu'à ceux qui furent jadis ses compagnons de pensée. Ancien président de Médecins du Monde, Rony Brauman dénonce la responsabilité de "personnes comme Bernard-Henri Lévy" dans l'affaire de l'Arche de Zoé : "Fortes de leur statut moral, elles ont installé l'idée que les gens qui étaient là-bas étaient en sursis et que ce qui les attendait était immanquablement la mort". "Quand on raconte que le sauvetage immédiat est une nécessité impérieuse, a-t-il conclu, il ne faut pas s'étonner d'être écouté". Et si l'on cessait, justement, de les écouter ?
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