Un véritable événement politique s'est produit ce week-end, avec l'appel de Nicolas Sarkozy pour que Jean-Marie Le Pen obtienne ses 500 signatures de parrainage et puisse ainsi participer à l'élection présidentielle. Certes, toujours sensible au politiquement correct, le président de l'UMP a cru bon d'inclure le candidat trotskiste Olivier Besancenot dans cette adresse aux maires de France, mais personne n'est dupe de cette grosse ficelle, d'autant plus grosse que le représentant de la LCR attend davantage ses signatures des élus de gauche que de ceux de l'UMP. Non, c'est bel et bien le président du Front national qui était visé par cette démarche. Et je pense que le mot événement n'est pas trop fort pour la qualifier : imaginez-vous un instant Jacques Chirac lançant un appel de cette nature ? Même si les calculs et les arrière-pensées sont bien là, il reste que, décidément, les choses bougent à droite.
On peut d'abord s'en féliciter en ce qui concerne l'éthique de ce scrutin. Comment imaginer en effet qu'une disposition qui a pour but d'éliminer les candidatures fantaisistes puisse exclure de la course à l'Elysée un candidat dont la formation existe depuis trente-cinq ans et qui fut en 2002 présent au second tour, après avoir recueilli 4,8 millions de suffrages au premier ? Chacun est libre de penser ce qu'il veut des idées et des paroles de Jean-Marie Le Pen, mais son absence dans cette compétition serait un véritable déni de démocratie. Tel est bien d'ailleurs le sentiment d'une large majorité de Français, selon une enquête réalisée récemment, qui donne d'ailleurs des résultats rigoureusement inverses à ceux de 2002. Un sentiment qui ne peut qu'être renforcé lorsque la justice confirme qu'une tentative de piratage informatique a bien eu lieu au siège du FN en vue de faire pression sur les maires qui avaient promis leur parrainage au président de cette formation.
Mais l'éthique n'est évidemment pas la (seule) motivation de Nicolas Sarkozy dans cette affaire. Le ministre-candidat a en tête deux éléments fondamentaux. Le premier, c'est qu'il pourrait bénéficier, si l'on en croit des sondages aussi sérieux que confidentiels, d'un excellent report des voix du Front national au second tour, compris entre 80 et 90%, alors que Jacques Chirac en recueillait moins de la moitié. Le Pen a beau dénoncer la "fausse droite" que représente à ses yeux le président de l'UMP, ses électeurs savent gré à celui-ci de son attitude et de ses actes en matière de sécurité et d'immigration, même s'ils rejettent la "discrimination positive" ou le financement des mosquées par l'argent des contribuables. Et puis, chacun le sait, les candidats ne sont pas propriétaires de leurs voix. Mais ce bon report deviendrait beaucoup plus aléatoire si Le Pen était absent du premier tour, ses partisans pouvant être saisis d'un (légitime) désir de vengeance vis-à-vis de celui qu'il serait facile de désigner comme responsable de cette manoeuvre...
Mais Nicolas Sarkozy sait aussi que, un mois après la présidentielle, viennent les législatives. Et que le "pouvoir de nuisance" du Front national est à son maximum dans ce scrutin-là. Il suffit en effet que, dans un certain nombre de circonscriptions, les candidats du FN puissent se maintenir au second tour (après avoir obtenu plus de 12,5% des électeurs inscrits au premier tour), pour que ces circonscriptions puissent être facilement gagnées par la gauche dans le cadre d'une "triangulaire" opposant gauche, droite et extrême-droite. Aux législatives de 1997, sur les 75 triangulaires du second tour, 46 ont été remportées par la gauche et 29 par la droite, causant ainsi directement sa défaite au niveau national. Nul ne sait aujourd'hui dans quelles conditions se dérouleront ces élections, mais une chose est sûre : l'absence de Jean-Marie Le Pen à la présidentielle serait le meilleur moyen d'empêcher toute tractation - publique ou secrète - aux législatives.
Ce ne sont pas là, penseront certains, de très nobles motivations pour expliquer l'appel de Nicolas Sarkozy en faveur de Le Pen. Certes, mais la politique est essentiellement un rapport de forces, et ces deux hommes le savent. Et qu'importe si le résultat est là : commencer de résorber la fracture qui, depuis plus de vingt ans, empoisonne la vie politique à droite, et permettre à celle-ci d'avoir avec l'extrême-droite des rapports rationnels identiques à ceux que la gauche a su établir avec l'extrême-gauche. Il faudra pour y arriver beaucoup d'efforts. Des deux côtés.
Commentaires