La transmission des pouvoirs réalisée entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, les choses vraiment sérieuses commencent. Avec d'abord la formation du premier gouvernement Fillon, c'est-à-dire la liste des femmes et des hommes chargé(e)s de mettre en oeuvre la politique clairement énoncée par le nouveau président pendant sa campagne, et tout aussi clairement approuvée par une large majorité de Français, politique que l'on peut définir comme une "rupture de droite".
Or, depuis que s'élabore la composition de ce gouvernement, il n'est plus question que d'"ouverture" au centre et surtout à gauche. A tel point qu'un fidèle de Sarkozy, et non des moindres, Patrick Devedjian, a cru devoir plaider avec humour et courage devant le Conseil national de l'UMP pour "l'ouverture jusqu'aux sarkozystes", compromettant sans doute au passage son éventuel portefeuille ministériel... Le problème est en tout cas posé : l'ouverture à gauche est-elle indispensable à la rupture de droite ?
La réponse mérite sans doute d'être nuancée. D'abord, il est patent que le premier résultat de ces manoeuvres est d'accentuer le trouble et le désarroi qui règnent à gauche, notamment au Parti socialiste, et d'isoler encore un peu plus François Bayrou : ce n'est peut-être pas de la haute politique, mais ça ne peut pas faire de mal non plus ! Ensuite, pour l'instant, il n'est question que d'ouverture à des personnalités, et pas de "gauchiment" du programme et des réformes annoncées, ce qui constituerait un véritable accroc dans le contrat de confiance que les Français viennent de signer avec Nicolas Sarkozy. Il importe donc que les choses soient claires au départ, et que les éventuelles bonnes volontés venues d'ailleurs soient bien là pour appliquer la politique voulue par les Français.
Quant aux femmes et aux hommes dont les noms circulent pour illustrer cette ouverture, un examen au cas par cas s'impose quasiment. Lorsqu'il s'agit de personnalités comme Anne Lauvergeon, Claude Allègre ou Hubert Védrine, il serait en effet dommage de se priver de leurs compétences - réelles - et de leur indépendance d'esprit par rapport aux dogmes de la gauche dans la tâche de redressement immense qui attend la nouvelle majorité, pour peu que leur engagement soit net et dépourvu d'ambiguïté. Tout autre est le cas Kouchner. Certes, l'homme est médiatique et jouit d'une cote de sympathie dans l'opinion publique, mais peut-on sérieusement lui prêter la carrure d'un chef de la diplomatie française ? Plus encore, alors que Nicolas Sarkozy n'a cessé de proclamer sa volonté de "liquider l'héritage de Mai 68", peut-il sans crainte confier un rôle majeur à l'un des principaux héritiers de ce mouvement ?
Le même examen au cas par cas vaut pour ceux des centristes qui n'ont rallié Sarkozy qu'à la veille du second tour. Si la personnalité d'un Hervé Morin semble fiable et solide, quel crédit apporter à un Maurice Leroy, passé en quelques années du Parti communiste à l'UDF de François Bayrou après une étape par le RPF de Charles Pasqua ? Or, comme l'a fort justement rappelé Gérard Longuet, "l'ouverture, c'est bien, mais ce sera bon de s'appuyer sur les fidèles, sur les choses solides, quand viendront les difficultés".
Toute tragi-comédie devant avoir son bouffon, le rôle échoit sans aucun doute à l'ineffable Jean-Michel Baylet, héritier milliardaire de la Dépêche du Midi, président du Parti Radical de Gauche, surnommé depuis toujours dans le Sud-Ouest "le veau sous la mère". Après avoir négocié avec le Parti socialiste le retrait de la candidature à l'élection présidentielle de Christiane Taubira en échange de 33 sièges dans la future Assemblée nationale, le voilà qui se précipite pour rencontrer Nicolas Sarkozy et dans la foulée écrit dans le Figaro que "la stratégie d'union de la gauche n'a plus d'actualité" ! Ulcéré, le PS lui réclame d'urgence une "clarification". Même si la vigilance s'impose, c'est vrai que l'ouverture n'a pas que des mauvais côtés...
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