Dès le 6 juin dernier, nous écrivions sur ce blog, à propos d'Arnaud Lagardère : "Son "frère" Nicolas (Sarkozy), qui a pris vigoureusement en mains le dossier Airbus, n'a plus qu'une idée en tête : faire sortir rapidement Lagardère du capital d'EADS, entreprise qu'il a déjà suffisamment perturbée. Mais par qui le remplacer ? Quel sera le futur grand opérateur industriel français actionnaire de référence d'EADS ? Gageons que le chef de l'Etat doit actuellement faire le tour des candidats potentiels, et que l'amitié - réelle ou autoproclamée - tiendra peu de place dans ses choix ultérieurs."
En attendant la sortie - déjà amorcée - de son groupe du capital d'EADS, la rencontre d'hier, à Toulouse, entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy a entériné la sortie d'Arnaud Lagardère de l'état-major du géant franco-allemand de l'aéronautique et de l'espace : jusque-là co-président du Conseil d'administration, l'héritier perd son fauteuil et ne pourrait le retrouver au mieux que dans quatre ou cinq ans, quand la nouvelle alternance franco-allemande jouera. Mais, comme Lagardère Groupe devrait d'ici là s'être totalement dégagé d'EADS, on voit mal à quel titre il pourrait alors réclamer quelque poste que ce soit...
Cette éviction, que nous laissions entrevoir voici plus d'un mois, n'apparaissait pourtant pas si évidente que cela pour nombre d'observateurs. Vendredi dernier, le Figaro-économie ne craignait pas d'écrire que "le scénario le plus plausible est la nomination d'un Français, qui devrait être Arnaud Lagardère, à la présidence du Conseil d'administration". Quant au Journal du Dimanche, propriété de Lagardère et donc bien placé pour connaitre les voeux du patron, il était sur la même longueur d'ondes : "Dans ce scénario, Arnaud Lagardère deviendrait le seul président du Conseil d'administration. Si le patron du groupe Lagardère veut à terme se désengager, il souhaite en attendant conserver cette position stratégique. Le pacte d'actionnaires conclu en 2000 lui donne en effet l'ensemble des pouvoirs au sein du camp français, alors qu'il ne possède que 7,5% du capital (15% dont 7,5% en cours de cession), contre 15% à l'Etat". Seul le Financial Times, toujours bien renseigné, émettait l'hypothèse que Nicolas Sarkozy demande à Arnaud Lagardère de se retirer.
En réfléchissant quelques minutes, on mesure pourtant l'incroyable arrogance de l'attitude de ce dernier. Après avoir proclamé son manque d'intérêt pour l'activité d'EADS et son désir d'en sortir, après avoir vendu la moitié de sa participation dans des conditions qui ont justifié l'ouverture d'enquêtes sur d'éventuels délits d'initié, après avoir déclaré au journal Le Monde au sujet des dysfonctionnements d'Airbus "j'ai le choix de passer pour quelqu'un de malhonnête ou d'incompétent, j'assume cette deuxième version", il osait réclamer pour lui seul le fauteuil de président du Conseil d'administration !
Seule explication possible : se proclamant constamment "l'ami" et "le frère" de Nicolas Sarkozy, Arnaud Lagardère s'imaginait soutenu par celui-ci et quasiment intouchable. Mais le chef de l'Etat a manifestement choisi, là comme ailleurs, de faire passer les compétences avant les amitiés, réelles ou supposées. Pour Arnaud Lagardère, le désaveu public ainsi administré pourrait bien annoncer d'autres sérieux ennuis. Plus que contesté au sein de son propre groupe pour sa gestion sans cohérence ni "lisibilité", l'héritier devait beaucoup de sa puissance à deux éléments : le souvenir laissé par son père et la relation qu'il prétendait avoir avec le nouveau président de la République. Or le premier se retourne au fil du temps contre lui, et le second vient brutalement de montrer ses limites. "Je ne donne pas deux ans, me confiait récemment en privé un expert financier connu, pour qu'il ne soit plus à la tête du groupe qui porte son nom".
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