C’est donc ce samedi qu’a lieu la « Gay Pride » parisienne. Ce cortège sera cette année enrichi par la présence de plusieurs syndicats, probablement soucieux de regonfler par tous les moyens le nombre de leurs adhérents. Les confédérations CGT, CFDT et CFTC (on se demande comment cette dernière concilie sa présence avec sa référence chrétienne) participeront donc à la marche des fiertés (?) lesbiennes, gays, bi et trans, et rappellent "leur engagement résolu dans la lutte contre l'homophobie, la lesbophobie, la transphobie et pour l'égalité des droits. Cette lutte passe aussi par une intervention sur les lieux et dans les relations de travail, qui sont loin d'être préservés de ces discriminations. D'où la nécessité d'une présence renforcée des syndicats sur ce terrain", écrivent-elles dans un communiqué où elles revendiquent "une démarche revendicative et une démarche de négociation pour faire reculer les tendances homophobes, lesbophobes, transphobes, sur les lieux de travail".
Bien loin de ce galimatias, le haut magistrat Philippe Bilger a publié le mois dernier, à l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie (!), un texte remarquable de finesse, d’intelligence et de modération, qui, dans le respect absolu des personnes concernées, remet quelques idées en place. Je ne résiste pas au plaisir de le porter ci-dessous à votre connaissance.
Faut-il être homophile ?
Par Philippe Bilger, Avocat général à la Cour d’appel de Paris
"Le 17 mai était la Journée mondiale contre l'homophobie. Le même jour, une pétition a été lancée pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité, qui a déjà recueilli les signatures de cinq Prix Nobel et d'artistes célèbres. Autant je crois à l'utilité de la seconde démarche qui dénonce un grand nombre d'Etats sanctionnant l'homosexualité (dont une dizaine avec la peine de mort), autant la première me semble plus discutable. Cette Journée mondiale est avalisée par une cinquantaine d'Etats cette année. J'éprouve pourtant comme un malaise devant une institutionnalisation internationale de la lutte contre l'homophobie. Je ne suis pas persuadé que des instances officielles aient la charge de dicter aux citoyens ce qu'ils doivent ressentir, penser, aimer dans le domaine de l'intimité. J'ai envie de m'ébrouer devant cette injonction qui, pour se couvrir d'un voile humaniste, n'est rien de plus qu'un impératif adressé à la liberté de chacun. Ainsi, comme l'homophobie est intolérable, serions-nous invités à devenir systématiquement homophiles ? N'a-t-on le choix qu'entre l'hostilité ou la complaisance ? Je n'ai envie ni d'adorer ni de haïr l'homosexualité. C'est juste un état de fait sur lequel j'ai le droit de discuter lorsqu'on prétend lui donner une place centrale dans la structuration de la société française, sans égard pour les facteurs d'équilibre que les pratiques majoritaires parce que naturelles ont su faire naître tout au long des siècles. Loin de moi l'idée de contester la nécessité d'une politique contre les violences causées aux homosexuels, contre les multiples discriminations dont ils sont victimes. La sévérité la plus grande doit être manifestée à l'encontre de tous ceux chez qui la haine ou le dégoût se traduisent par des comportements pénalement répréhensibles. A force de confondre la réflexion collective et la relation humaine au détail, je crains qu'on en vienne peu à peu - et cela s'inscrit dans un mouvement général préoccupant, qui prétend caporaliser ce qui relève de la liberté de chacun - à dénier à quiconque le droit d'apprécier ou non l'homosexuel, au motif que la communauté homosexuelle doit être flattée. La Journée internationale contre l'homophobie m'apparaît comme une énorme machine qui croit pouvoir de l'extérieur façonner les esprits, les goûts et les consciences. Cela ne regarde pas les Etats tant que des transgressions à la loi n'ont pas été perpétrées. Cette discussion n'est pas anodine car on sait par exemple que le député UMP Christian Vanneste a été condamné en vertu d'une loi réprimant l'homophobie, avec une motivation à mon sens sujette à caution. Un pourvoi en cassation a été formé. (…) Pour lutter contre l'homophobie, définie de manière si large que le moindre soupir de réserve pourrait être blâmé, on fabrique une obligation de fraternité en confiant cette mission aux Etats. Pour tout dire, il est lassant de s'entendre dicter une conduite qui ne regarde que vous. Ces grandes messes de la convivialité qui feignent d'oublier le poids des relations, des sympathies et des hostilités intimes dans le tissu quotidien de l'existence sont plus agaçantes qu'autre chose. Je ne suis pas homophobe. Homophile, seulement si je le décide."
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