Dans ses adieux télévisés d'hier soir - ou, ce qui revenait au même, dans l'annonce de sa non-candidature - Jacques Chirac a su par moments émouvoir. Sa déclaration d'amour, plusieurs fois renouvelée, pour la France et les Français avait de réels accents de sincérité. Comment expliquer, alors, le sentiment de déception qui prévaut après cette prestation ? Sans doute par la perception que ces deux mandats élyséens ont été en fin de compte, pour reprendre l'expression cruelle de Laurent Fabius, une "présidence du temps perdu".
Une parenthèse pour préciser que l'auteur de ces lignes n'a rien d'un anti-chiraquien primaire. Dès la première élection municipale de Paris, en 1977, j'ai été candidat sur les listes conduites par Jacques Chirac, dans le XIXème arrondissement. Elu en 1983, réélu en 1989 et 1995, j'ai été pendant plusieurs années maire-adjoint d'arrondissement, toujours sous sa bannière. C'est dire si j'ai distribué des tracts, collé des affiches, rédigé des journaux électoraux et tenu des meetings en sa faveur. Je n'en suis que plus à l'aise pour dire que, si l'homme est éminemment sympathique, si le candidat fut un "chef de guerre" exceptionnel, capable de galvaniser ses troupes comme personne, l'homme d'Etat présente à la fin de sa carrière un bilan on ne peut plus décevant. "Tout ça pour ça", suis-je tenté de penser en comparant les efforts déployés aux résultats enregistrés.
Ce bilan, il est d'ailleurs significatif que le président sortant en ait si peu parlé hier soir. Il s'est certes félicité de la baisse du chômage, en oubliant de rappeler que notre pourcentage de demandeurs d'emploi est encore deux fois plus élevé que celui des pays qui ont accompli les vraies réformes nécessaires ; et de la baisse de l'insécurité, en omettant d'ailleurs au passage d'en attribuer le mérite à son ministre de l'Intérieur... Mais, hormis son heureuse inspiration concernant le refus de la guerre américaine en Irak, quels autres succès pouvait-il revendiquer ? Pas de révolution fiscale, pas de rénovation du droit du travail, une demi-réforme des retraites, une constitution européenne rejetée en grande partie par sa faute, des promesses toujours renouvelées et jamais tenues (service minimum, salaire parental...), une vie politique ternie par des "affaires" à répétition : comme on est loin, très loin, des bilans que pouvaient afficher à la fin de leurs mandats un Ronald Reagan ou une Margaret Thatcher ! Ces mêmes Reagan et Thatcher dont Chirac se voulait pourtant, au début des années quatre-vingt, l'homologue tricolore, après avoir chanté jadis, il est vrai, les louanges du "travaillisme à la française"...
En ce qui concerne le soutien qu'il est censé apporter à Nicolas Sarkozy, il est probable que l'actuel chef de l'Etat se contentera d'un appui symbolique. Il n'est pour s'en convaincre qu'à examiner les priorités qu'il définit pour l'avenir : la lutte contre "l'extrémisme", qui nous a valu une incantation remarquée au moment où Sarkozy est accusé par la gauche de flirt avec le Front national ; et la protection du "modèle social français", que le président de l'UMP entend réformer de fond en comble, quitte à s'inspirer de ce qui fonctionne à l'étranger. Le doute n'est pas permis : Nicolas Sarkozy sera peut-être, si les électeurs en décident ainsi, le successeur de Jacques Chirac, il n'en sera certainement pas l'héritier. Compte tenu de la qualité dudit héritage, c'est plutôt une bonne nouvelle.
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